L’art peut-il éviter le consensus ?
Titre un peu prétentieux pour un article blog du lundi allez-vous me dire. Plus proche du thème de bac philo que du blogging.
Je l’admets. Mais avant de fuir vers votre café, laissez-moi vous expliquer. J’ai passé le week-end à Amsterdam, une ville où la créativité est partout, dans toute sa diversité. Une ville où l’enjeu de la liberté de l’art se sent beaucoup plus que dans d’autres lieux culturels, où la créativité apparait souvent comme plus académique, inscrite dans une histoire plus grande que celle des artistes eux-mêmes.
Et il est vrai que lorsque l’on regarde le parcours des plus grands artistes, quels qu’ils soient, peu sont ceux qui sont restés totalement libres dans leur art, qu’ils soient rattrapés par des obligations financières, politiques ou morales.
Alors, me suis-je dis, à l’heure des critiques sur la pauvreté de l’art moderne face aux arts académiques, que reste-t-il de l’art qui bouscule ?
Premier constat : quand l’art dionysiaque est mis au placard, c’est le consensus qui vient d’en haut qui l’emporte.
C’est en tombant sur une interview d’Alain Manoukian à la radio la semaine dernière qui y expliquait comment la portée avait tué une grande partie de l’art de l’improvisation en musique, que cette idée m’est apparue. Il expliquait comment, jusqu’au 12e siècle, la musique était principalement orale et faite d’un mélange d’apollinien (accords liés à des règles) et de dionysiaque (accords proches de la transe). La religion ou les états (qui ont souvent marché main dans la main) ont académisé l’art, diabolisant les créations spontanées. Outils de valorisation des dirigeants ou de communication avec l’haut-delà, l’art est ainsi devenu un instrument consensuel, au service de messages venus d’en haut.
Cette limite à la créativité, encore bien présente, même parmi nos sociétés soi-disant démocratiques, a amené des générations entières d’artistes à se réclamer de courants très anciens, pour parvenir à entrer dans le cercle très fermé des artistes reconnus. À répandre aussi cette croyance selon laquelle on n’a pas le droit de créer sans avoir appris avant. Comme le soulignait Alain Manoukian si justement, c’est comme si on interdisait à un enfant de s’exprimer avant qu’il n’ait une complète maitrise de la grammaire …
Ce premier consensus, imposé par des organisations de pouvoir a eu pour conséquence de brider la créativité ou de la condamner, dès lors qu’elle ne rentre pas dans les modèles validés : le street art en est un bel exemple.
Alors on pourrait penser qu’il suffit de redonner la parole au vrai public, au peuple donc, pour que les artistes soient à nouveau libres ?
Pas sûr. En effet, si on regarde les émissions de téléréalité visant à promouvoir de nouveaux talents ou les votes du public sur les concours littéraires, que remarque-t-on ? Encore un consensus mais, cette fois, autour de la mode. Attention, je ne suis pas en train de dire que le public n’a pas raison. Je dis seulement que le public aime ce qu’il a l’habitude d’aimer et de voir, davantage que la nouveauté. Et cela, les maisons de production l’ont bien compris. Ainsi nous propose-t-on des choses « qui marchent », plutôt que des choses originales. Romance, polar, séries, ne sont que le fruit d’un régime alimentaire bien assimilé par nos cerveaux. Se retrouver autour de la mode est rassurant, confortable, plaisant…
Mais est-ce cela le seul rôle de l’artiste ? Nous offrir une bonne couverture sous laquelle nous mettre les soirs d’hiver ?
Oui, nous vivons dans une société de stéréotypes où le consensus, souvent lié à notre besoin de confort et d’appartenance, qu’il vienne d’en-haut ou d’en bas, nous pousse à moins de curiosité. Mais être ouvert, c’est permettre aux artistes de le rester. Aller voir des spectacles dans de petites salles, lire des auteurs indépendants ou peu connus, pousser la porte des musées, voyager, même en France, pour y découvrir des cultures et des architectures différentes... Aimer ou ne pas aimer mais aller voir pour le savoir et pour être surpris.
Je crois qu'un artiste, même en suivant certains modèles et certaines règles, ne devrait pas seulement chercher à être validé mais à enrichir la diversité culturelle et à livrer un message qui lui est propre. Car être artiste, n’est-ce pas, par essence, prendre le risque de ne pas susciter le consensus autour de sa créativité ?
Bonne semaine créative à tous, n'oubliez pas de rester curieux ;)